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Les États-Unis ont reporté à mars les droits de douane sur les importations canadiennes et mexicaines. Ces tarifs, et les tarifs de rétorsion qui les auraient accompagnés, auraient eu de vastes répercussions sur les économies nord-américaines. Personne ne sait ce qui se passera en mars et la menace d’une guerre tarifaire demeure.

Dans ce billet, j’examine les répercussions des tarifs américains sur l’industrie porcine canadienne. Nous verrons que les États-Unis sont une destination importante pour le porc et la viande de porc canadiens et que les tarifs auraient une incidence majeure sur l’industrie canadienne du porc.

Le Canada exporte des porcelets et des porcs vers les États-Unis. Les données commerciales nous permettent de définir les porcelets comme ceux qui pèsent moins de 50 kg et les porcs comme ceux qui pèsent 50 kg ou plus. Le Manitoba est le plus grand exportateur de porcelet vers les États-Unis, en particulier pour l’exportation de porcelets sevrés pesant moins de 7 kg. L’Ontario est la province qui exporte le plus de porcs aux États-Unis.

La figure 1 montre les exportations canadiennes mensuelles de porcelets et de porcs vers les États-Unis depuis 2020. Les exportations de porcs sont saisonnières, mais sont relativement stables annuellement depuis 2021. De même, les exportations de porcelets se maintiennent.

Exportations mensuelles de porcelets et de porcs canadiens vers les États-Unis

Figure 1: Exportations mensuelles de porcelets et de porcs canadiens vers les États-Unis

La figure 2 montre les exportations canadiennes mensuelles de viande de porc vers les États-Unis et vers d’autres pays. En 2020 et 2021, les exportations vers d’autres pays ont été stimulées par l’épidémie de peste porcine africaine en Chine. Les inventaires de porcs de la Chine se sont depuis redressés et la demande mondiale a diminué. Les exportations de viande de porc vers les États-Unis sont d’environ le quart du total du Canada et se maintiennent.

Exportations mensuelles canadiennes de viande de porc

Figure 2: Exportations mensuelles canadiennes de viande de porc

J’utilise un modèle de déplacement de l’équilibre, un type de modèle qui a déjà été utilisé pour étudier le commerce du bétail et de la viande entre le Canada et les États-Unis (voir, par exemple, Brester, Marsh and Atwood (2004), Pendell, Brester, Schroeder, Dhuyvetter and Tonsor (2010) ou Hahn, Sydow and Preston (2019)).

J’ai modélisé les chaînes d’approvisionnement au Canada et aux États-Unis, en commençant par les porcelets (sevrés), puis les porcs abattus pour produire de la viande de porc vendu en gros, qui est ensuite vendue au détail. Je considère plus particulièrement les porcelets sevrés du Manitoba qui sont destinés à l’exportation vers les États-Unis. Les porcs d’élevage canadiens sont soit abattus domestiquement ou exportés aux États-Unis. La viande de porc produite au Canada est consommée au pays, exporté aux États-Unis ou exporté vers d’autres pays.

J’ai fait de mon mieux pour calibrer le modèle selon les données de 2024. Cela n’a pas toujours été facile. La calibration aux données de 2024 signifie que le modèle prend les conditions économiques observées en 2024, puis examine l’impact des droits de douane de 25 % sur les importations américaines de porcelets, de porcs et de viande de porc, tout étant égal par ailleurs. Les résultats ne peuvent pas être interprétés comme une prédiction de ce qui se passerait si des tarifs de 25 % étaient appliqués en 2025. Les conditions économiques en 2025 sont différentes ; notamment, le dollar canadien est plus faible. Plus à ce sujet ci-dessous. Néanmoins, le modèle donne une bonne idée de l’ampleur des impacts économiques auxquels on peut s’attendre en 2025.

Les prix des porcs au Québec et en Ontario utilisent des formules en fonction des prix aux États-Unis. Dans ce premier scénario, je considère que les prix du porc s’ajustent aux conditions de marché. Dans la section suivante, je considère que le Québec et l’Ontario conservent leurs formules de tarification telle qu’elle s’applique actuellement.

Le tableau 1 montre les répercussions des tarifs sur l’industrie porcine canadienne. La valeur des exportations de porcelets vers les États-Unis chute de plus de 50 %, suivant une baisse de 18 % du prix et d’une baisse de 36 % du volume. Le prix des carcasses de porc (c.-à-d. le prix des porcs) diminue de 7 % et la production diminue légèrement de 1 %, ce qui entraîne une baisse de 8 % de la valeur de la production. Les exportations de porcs et de viande de porc vers les États-Unis cessent complètement. Les exportations de viande de porc vers d’autres pays augmentent de 28 % pour dépasser le milliard de kg et s’approcher de 3,8 milliards de dollars canadiens. Le prix en gros diminue de 4,7 % parce qu’il y a plus de porc vendu au pays, ce qui entraîne une baisse de 2 % des prix du porc au détail. Cela signifie que les consommateurs canadiens de porc bénéficient des tarifs américains.

Table 1 : Répercussions des droits de douane américains de 25 % — les prix du porc s’ajustent aux conditions de marché




Ce deuxième scénario suppose que le Québec et l’Ontario conservent leurs formules des prix du porc. C’est-à-dire que les prix des carcasses de porc demeurent calibrés en fonction des prix américains, même si le Canada n’exporte plus des porcs et de viande de porc vers les États-Unis en raison des droits de douane de 25 %. Je fais cette hypothèse pour tous les porcs nourris au Canada, bien que leur prix soit déterminé de manières différentes dans les provinces autres que le Québec et l’Ontario.

Les impacts sur les exportations de porcelets sont les mêmes que dans le scénario 1. Les porcelets exportés aux États-Unis à partir du Manitoba sont produits pour l’exportation et la capacité de les nourrir et de les abattre au Canada est limitée.

Le tableau 2 présente les résultats pour le scénario 2. Le prix de la carcasse de porc augmente de 2 %. Cela provient de l’augmentation du prix de référence aux États-Unis en raison de la baisse des approvisionnements de porc et de viande de porc en raison de la perte d’importations en provenance du Canada. En raison d’un prix plus élevé, la production de porcs augmente de 0,4 % au Canada. Le volume des exportations vers d’autres pays augmente de 53 %, tandis que la valeur augmente de 43 %. Le prix du porc en gros diminue de 9,0 % et le prix au détail diminue de 4,5 % en raison d’une offre plus forte au Canada comparativement au scénario 1.

En pratique, ce scénario n’est pas réalisable parce que les marges des transformateurs sont sous pression par un prix plus élevé pour la carcasse de porc et un prix plus bas pour le porc en gros. Si les formules de prix sont maintenues au Québec et en Ontario, quelque chose se doit de céder. Une solution possible serait des réductions de production qui causeraient une augmentation suffisamment élevée des prix de gros pour que les transformateurs maintiennent des marges positives. Toutefois, les profits des transformateurs diminueraient à cause des volumes plus faibles.

Table 2 : Répercussions des droits de douane américains de 25 % — les formules de prix du porc sont maintenues




Mon modèle ne tient pas compte du fait que le taux de change entre le Canada et les États-Unis au début de 2025 est inférieur d’environ 6 % à ce qu’il était en moyenne en 2024. En fait, un taux de change plus bas diminue les répercussions des droits de douane. En effet, dans le passé, des pays ont adopté des politiques monétaires pour abaisser leur taux de change comme stratégie pour contourner des droits de douane punitifs. On s’attend à ce que la valeur du dollar canadien diminue en réponse aux droits de douane américains.

Un taux de change inférieur de 6 % signifie un tarif effectif de 19 % en 2025 par rapport de référence de 2024. J’ai calculé l’impact des tarifs de 19 % dans le scénario 1. Les impacts sur les porcs d’engraissement sont plus faibles, mais, pour le reste de la chaîne d’approvisionnement, les impacts sont les mêmes que ceux au tableau 1. Cela tient du fait que des droits de douane de 19 % sont suffisants pour faire chuter à zéro les exportations de porcs et de viande de porc vers les États-Unis.

Selon mon modèle, une baisse de 7 % du taux de change par rapport à 2024 serait suffisante pour que les exportations de porcs vers les États-Unis se poursuivent, bien que les volumes d’exportation seraient beaucoup plus faibles. Pour que les exportations de viande de porc vers les États-Unis se poursuivent, il faut une baisse d’environ 15 % du taux de change compte tenu d’un droit de douane de 25 %.