Series: Agriculture
La santé financière des fermes canadiennes inquiète étant donné la baisse des prix des grandes cultures. Chez nos voisins du sud, des économistes (en anglais seulement) sont d’avis que le secteur agricole américain est en récession. Dans ce billet, j’examine s’il y a lieu de conclure que le secteur agricole canadien est en récession.
Définir une récession n’est pas simple. Si l’on considère l’ensemble de l’économie, une récession technique est définie comme deux trimestres consécutifs avec une croissance annuelle négative. Cependant, cette définition ne tient pas compte de certaines réalités en agriculture, comme la volatilité des prix et de la sensibilité des revenus aux chocs météo.
Je ne vais pas définir le concept de récession agricole. Plutôt, je vais examiner les tendances récentes des prix agricoles et des recettes monétaires agricoles. Les prix nous renseignent sur le revenu par unité de production, tandis que les recettes monétaires agricoles tiennent également compte des variations dans la production. Si nous observons que les prix et les recettes monétaires n’ont pas augmenté et ne devraient pas augmenter, alors nous conclurons qu’une récession agricole est probable.
Les données sur les prix sont tirées des séries d’indices des produits agricoles de Statistique Canada. J’utilise des indices de prix parce qu’ils permettent des comparaisons entre les provinces et les groupes de produits. Les indices des prix agricoles tiennent compte d’un panier représentatif de produits dans chaque province. Cela signifie que les indices de prix varient d’une province à l’autre en raison de facteurs économiques qui leur sont propres et parce que les groupes de produits agricoles ne sont pas exactement les mêmes d’une province à l’autre.
Pour toutes les provinces, à l’exception de l’Atlantique et de la Colombie-Britannique, l’indice des prix des cultures a atteint un sommet en 2022 et a suivi une tendance à la baisse depuis. Ces tendances sont fortement influencées par les prix des grandes cultures. Les prévisions n’indiquent pas un potentiel significatif de rebond au cours de la prochaine année.
Le sommet de 2022 dépend du mélange de cultures de chaque province. Dans les Prairies, les grandes cultures occupent une grande part de la production et nous observons des pics beaucoup plus importants dans ces provinces. Au Québec et en Ontario, les pics sont plus petits, car les productions de fruits et légumes y sont relativement plus importantes.
Les prix du bétail ont suivi une tendance à la hausse dans toutes les provinces depuis 2020, quoiqu’ils ont été volatils. Les prévisions montrent que les prix devraient atteindre un sommet au milieu de 2025, puis baisser en suivant les tendances saisonnières, notamment pour les prix du porc.
En ce qui concerne les indices des prix agricoles totaux, nous observons que dans les provinces qui dépendent davantage des grandes cultures, en particulier le Manitoba et la Saskatchewan, les prix ont atteint un sommet en 2022, puis ont diminué depuis. L’autre province des Prairies, l’Alberta, a un important secteur des cultures, mais aussi un important secteur bovin. Les prix ont diminué dans cette province, mais dans une moindre mesure qu’au Manitoba et en Saskatchewan. Le Québec et l’Ontario ont des productions agricoles diversifiées et les prix ont stagné depuis 2022, mais ils ont été volatils. Pour l’Atlantique et la Colombie-Britannique, les prix ont généralement suivi une tendance à la hausse depuis 2010.
Les données trimestrielles sur les recettes monétaires agricoles sont de Statistique Canada. Les observations les plus récentes sont pour le troisième trimestre de 2024.
Les recettes des cultures sont saisonnières, en particulier dans des provinces comme la Colombie-Britannique, l’Ontario et le Québec, où les cultures non stockables représentent une plus grande part des recettes. Les recettes des cultures dans les provinces des Prairies sont principalement tirées des céréales et des oléagineux, des produits stockables, ce qui tend à lisser les recettes des cultures puisque les agriculteurs vendent tout au long de l’année.
Les recettes des cultures ont suivi une tendance à la hausse entre 2010 et 2020 dans toutes les provinces. Cependant, depuis le sommet atteint en 2022, elles se sont affaiblies et aplaties dans les provinces des Prairies. De même, elles se sont aplaties en Ontario au cours des cinq dernières années. Dans les autres provinces, les recettes des cultures ont continué d’augmenter.
La croissance des revenus du bétail a été faible dans toutes les provinces entre 2010 et 2015, à l’exception de la Colombie-Britannique. La croissance s’est accélérée depuis. Les recettes monétaires du bétail ont été à la hausse au cours des dernières années dans toutes les provinces et devraient continuer d’augmenter en 2025.
Pour les recettes monétaires agricoles totales, les tendances dépendent de la taille relative des recettes des cultures et du bétail dans chaque province.
Les recettes monétaires agricoles se sont stabilisées et ne devraient pas augmenter au Manitoba, en Saskatchewan et en Ontario. Les recettes monétaires dans ces provinces dépendent davantage des cultures. En Alberta, c’est la force du secteur bovin qui tire les recettes agricoles vers le haut. Dans d’autres provinces, les recettes monétaires agricoles totales ont tendance à augmenter et devraient continuer d’augmenter.
Au total, pour le Canada, les recettes monétaires agricoles stagnent, suivant les tendances observées au Manitoba, en Saskatchewan et en Ontario, qui représentent ensemble plus de la moitié des recettes totales.
Il n’y a pas de réponse courte à cette question, et des nuances sont nécessaires dans une réponse complète.
Étant donné des prix et des revenus en baisses, le secteur des grandes cultures est probablement en récession et continuera de l’être en 2025 selon toute vraisemblance. Les prix et les revenus sont généralement bons dans le secteur de l’élevage et devrait demeurer fort en 2025. Toutefois, cela ne veut pas dire que tous les types d’élevage s’en sortent bien. Les secteurs agricoles du Manitoba et de la Saskatchewan sont probablement en récession. Le secteur agricole de l’Ontario est peut-être aussi en récession, mais celle-ci est moins grave en raison de la diversification des revenus agricoles. C’est également le cas pour l’Alberta, qui voit ses recettes monétaires agricoles totales augmenter en raison de sa production bovine importante alors que les recettes des grandes cultures ont diminué. L’économie agricole des autres provinces semble plus robuste.
Je n’ai pas mentionné les coûts des intrants jusqu’à présent, un facteur important de la santé financière des fermes. L’inflation des prix des intrants agricoles a ralenti au cours des deux dernières années et les prix de certains intrants, comme les engrais et le carburant, ont diminué. Néanmoins, en général les prix des intrants continuent d’augmenter et, avec la baisse des revenus dans le secteur des grandes cultures, cela signifie un stress financier accru pour les fermes agricoles. Les fermes d’élevage se portent généralement mieux étant donné que leurs revenus augmentent.
Je n’ai pas les données pour évaluer la santé financière récente des fermes en grandes cultures, mais les données ci-dessus suggèrent qu’elle est en déclin. Plusieurs programmes sont offerts aux agriculteurs canadiens pour couvrir les pertes de production, l’augmentation des coûts des intrants et les conditions du marché. En général, ces programmes sont conçus pour couvrir des pertes dues à des chocs soudains. Ils ne sont pas adaptés à la situation actuelle où les prix baissent sur une longue période, tandis que les coûts des intrants continuent d’augmenter. Si les prix des cultures restent bas, les gouvernements souhaiteront peut-être intervenir pour prévenir que trop de fermes se retrouvent avec des résultats néfastes.