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L’un des objectifs de la gestion de l’offre dans l’industrie laitière canadienne est de « garantir aux producteurs un revenu stable et équitable tiré entièrement du marché ». Cela ne rend pas les prix du lait à la ferme entièrement prévisibles et stables. En effet, les variations mensuelles de prix ne sont pas négligables et peuvent considérablement affecter la rentabilité des fermes laitières.

Dans cet article, je fais des prévision pour les prix du lait à la ferme au Québec et constate que les conditions économiques ne favorisent pas une croissance significative des prix en 2024. Mes modèles prévoient une augmentation de 0,8 % des prix du lait à la ferme au Québec en 2024 par rapport à 2023.

Avant d’aborder les prévisions, je discute brièvement la façon dont les prix du lait à la ferme sont calculés. Je vais simplifier la description, certains peut-être diront à l’excès, et me concentrer sur les fermes et les transformateurs.

Les agriculteurs vendent leur lait à des transformateurs qui fabriquent des produits de consommation ou des ingrédients destinés à la surtransformation. Le lait se voit attribuer une classe selon son utilisation finale :

  • Classe 1 : Lait liquide et boissons ;
  • Classe 2 : Yogourts, boissons laitières pour sportifs, crèmes glacées, etc. ;
  • Classe 3 : Fromage ;
  • Classe 4 : Beurre, huile de beurre et produits laitiers destinés à l’industrie alimentaire (p. ex., poudres de lait) ;
  • Classe 5 : Produits laitiers utilisés comme ingrédients en surtransformation.

Les transformateurs valorisent les composantes du lait : matière grasse, protéines et autres solides. Ainsi, c’est la quantité des composantes en kilogrammes qui est facturée plutôt que le volume de lait en litres. Les prix des composantes du lait dans chacune des classes sont fixés par la Commission canadienne du lait (CCL) : voir les prix ici et ici. Pour la classe 4A, selon les règles convenues dans l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), les prix des protéines et des autres solides sont fixés mensuellement en fonction du prix du lait écrémé en poudre du département de l’Agriculture des États-Unis (USDA). La CCL achète et vend du beurre à un prix de soutien qui stabilise les variations saisonnières de la production et de la demande de matière grasse.

Les revenus tirés de la vente du lait sont mis en commun et les offices provinciaux en dérivent des prix à la ferme pour la matière grasse, les protéines et les autres solides. Les prix à la ferme des composantes n’égalent pas leur valeur moyenne lorsque vendus aux transformateurs. Les prix récompensent la production de matière grasse par rapport à la somme des protéines et des autres solides. Le tableau ci-dessous présente les prix à la ferme au Québec pour le mois de décembre 2023. Le volume de lait allant au niveau 1 ou au niveau 2 dépend du ratio entre la somme des protéines et des autres solides et la matière grasse et, par conséquent, il n’est pas possible de calculer la valeur moyenne sur la base de la composition moyenne. Ci-dessous, mon objectif sera de prévoir la valeur moyenne, qui était de 98,28 $/hl en décembre 2023.

Table 1: Prix à la ferme au Québec en décembre 2023
Matière grasse ($/kg) Protéine ($/kg) Autres solides ($/kg) Valeur à la composition moyenne ($/hl)
Prix intraquota de niveau 1 13,6231 10,3453 0,90 98,2800
Prix intraquota de niveau 2 1,8263 0,63
Prime qualité PLQ 0,5000
Prime qualité CMML 0,1871
Composition moyenne (kg/hl)
Matière grasse 4,3895
Protéine 3,3606
Autres solides 5,9151
Frais
Administration 0,0432 ($/kg)
Publicité 0,1007 ($/kg)
Fonds de développement 0,0008 ($/kg)
Transport 3,4521 ($/hl)

J’ai écrit il y a plus d’un an à propos des tendances qui touchent l’industrie laitière canadienne. Ces tendances sont toujours d’actualité et les modèles que j’ai développés en tiennent compte.

Pour mes prévisions du prix du lait à la ferme au Québec, je suppose ce qui suit :

  • Pas d’ajustement des prix du lait et du prix de soutien du beurre en 2024 autre que celui qui entrera en vigueur le 1er mai ;
  • Le PIB croît de 1 % en 2024, comme le prévoit la Banque du Canada dans son dernier Rapport sur la politique monétaire.
  • Le taux de change demeure égal à la dernière valeur observée au moment des prévisions.
  • Le prix du lait écrémé en poudre de l’USDA suit la courbe des contrats à terme.
  • Les volumes totaux de lait et les concentrations des composantes suivent leurs tendances récentes et leurs saisonnalités typiques.
  • Le ratio stocks/utilisation du beurre suit sa saisonnalité typique.

En ce qui concerne la production de lait à la ferme, le modèle prévoit une augmentation de 1,6 % pour les provinces du P5 (Ontario, Québec, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse et Île-du-Prince-Édouard) en 2024.

La figure 1 montre le prix du lait écrémé en poudre de l’USDA converti en dollars canadiens par kilogramme. D’après la courbe des contrats à terme, nous pouvons nous attendre à un prix du lait écrémé en poudre du USDA plus élevé en 2024 par rapport à 2023, mais inférieur à celui de 2022. Cela favorisera un prix légèrement plus élevé pour la classe 4A, qui comprend le lait écrémé en poudre.

Figure 1: Prix du lait écrémé en poudre sur les marchés à terme

Prix du lait écrémé en poudre sur les marchés à terme

La figure 2 montre les parts du volume de lait pour certaines classes de lait. Le modèle ne prévoit pas de changement important dans la répartition du lait entre les classes en 2024 par rapport à 2023 sauf pour une part plus faible du lait entrant dans la classe 1A au dernier trimestre de 2024. ceci aura un impact négatif sur les prix à la ferme, comme nous le verrons ci-dessous.

Figure 2: Parts du volume de lait pour certaines classes

Parts du volume de lait pour certaines classes

La figure 3 montre les prix moyens à la ferme au Québec pour 2022 et 2023 et les prévisions pour 2024. Pour 2024, les prix du lait à la ferme au Québec devraient augmenter de 0,8 % par rapport à 2023, soit 0,007 $/litre. Le modèle prévoit des prix plus élevés pour les 8 premiers mois de 2024 par rapport à 2023, mais des prix légèrement inférieurs dans les mois suivants en raison d’une plus petite part du lait qui devrait entrer dans la catégorie 1A au cours du dernier trimestre de 2024 (voir la figure 2).

Ce qu’il faut retenir, c’est que les conditions économiques ne favorisent pas une hausse significative des prix du lait à la ferme au Québec en 2024. L’ajustement du prix du lait à la ferme en mai 2024 contribuera à des prix légèrement plus élevés, mais pas suffisament pour contre balancer l’impact de plus faibles volumes de lait en classe 4A dans le quatrième trimestre.

Figure 3: Prévisions du prix du lait à la ferme au Québec

Prévisions du prix du lait à la ferme au Québec

Je n’ai pas abordé plusieurs enjeux qui ont une incidence sur les prix du lait à la ferme au Québec, y compris le commerce et la mise en commun des revenus entre les provinces membres du P5 et de la Mise en commun du lait de l’Ouest (MCLO : Colombie-Britannique, Alberta, Saskatchewan et Manitoba). Les importations de produits laitiers en provenance des États-Unis, de l’Europe et de la Nouvelle-Zélande ont une incidence sur la production laitière au Canada et peuvent également avoir une incidence sur les prix à la ferme. En ce qui concerne la mise en commun des recettes, je m’attends à ce qu’elle ait un impact marginal sur les prix à la ferme, même si elle devrait contribuer à les stabiliser. Mes modèles tiennent implicitement compte du commerce et de la mise en commun des revenus, ainsi que de plusieurs autres enjeux qui n’ont pas été discutés.

J’ai l’intention de raffiner les modèles et de mettre à jour les prévisions de temps en temps. J’espère éventuellement étendre les modèles pour prévoir les prix des produits laitiers à la ferme dans d’autres provinces.