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La semaine dernière, un groupe de quatre représentants du Congrès américain a annoncé (en anglais seulement) le lancement d’un caucus biparti pour examiner le commerce agricole des États-Unis. L’objectif déclaré (en anglais seulement) de ce caucus est de faire avancer et de promouvoir des politiques vitales pour l’agriculture américaine, y compris l’augmentation des exportations agricoles, la facilitation du commerce alimentaire et agricole et l’élimination des barrières commerciales inutiles.

Les tendances récentes du commerce agricole américain ont motivé la création du caucus. La figure ci-dessous, tirée de l’Economic Research Service (ERS) du Département de l’agriculture des États-Unis (USDA) (en anglais seulement), montre que les États-Unis ont été historiquement un exportateur net de produits agricoles. La situation a changé vers 2019 lorsque les États-Unis ont enregistré un premier déficit commercial. Le USDA prévoit que le déficit commercial agricole des États-Unis augmentera en 2024.

Figure 1: Commerce agricole des États-Unis entre 2001 et 2023 (ERS du USDA, en anglais seulement)

Commerce agricole des États-Unis entre 2001 et 2023 (ERS du USDA, en anglais seulement)

La question pour le Canada est de savoir si le lancement de ce nouveau caucus et l’augmentation du déficit commercial agricole des États-Unis entraîneront une augmentation du protectionnisme. Une question similaire se pose également pour d’autres pays, en particulier les pays de l’Union européenne (UE), compte tenu des récentes manifestations d’agriculteurs. En outre, le Royaume-Uni s’est récemment retiré des négociations commerciales avec le Canada. Le commerce agroalimentaire s’est libéralisé au cours des trois dernières décennies, mais il semble y avoir des pressions croissantes en faveur du protectionnisme ou, à tout le moins, une volonté diminuée de libéraliser davantage le commerce agroalimentaire.

Compte tenu de cela, je crois qu’il est pertinent d’examiner les données sur le commerce agroalimentaire du Canada. Je vais jeter un coup d’œil à la balance commerciale agroalimentaire et décrire le commerce par pays et par produit. Je conclurai en réfléchissant à la perspective d’un protectionnisme accru et à la façon dont cela pourrait se manifester pour les exportations canadiennes. Si vous n’êtes pas intéressé par les données commerciales, vous pouvez passer à la dernière section pour connaître mes réflexions sur la possibilité d’un protectionnisme accru.

Publié en 2018, le Rapport des Tables de stratégies économiques du Canada : Secteur Agroalimentaire fixe un objectif de 85 milliards de dollars canadiens pour les exportations agroalimentaires d’ici 2025. Les exportations canadiennes ont dépassé la cible rapidement, ayant totalisé 93,9 milliards de dollars canadiens en 2022.1 Les exportations agroalimentaires se sont chiffrées à 99,9 milliards de dollars canadiens en 2023. L’un des principaux facteurs expliquant ce succès est l’inflation des prix des produits agroalimentaires.

La figure 2 montre le commerce mensuel de produits agroalimentaires du Canada entre 2010 et 2023. Les exportations et importations agricoles et alimentaires sont saisonnières et ont suivi des tendances haussières. Les exportations de produits agricoles dépassent largement les importations. En 2023, le Canada a exporté pour 3,9 milliards de dollars canadiens et importé 1,8 milliard de dollars canadiens par mois de produits agricoles. L’excédent commercial agricole s’est établi à 25,6 milliards de dollars canadiens en 2023.

Les exportations et les importations de produits alimentaires sont comparables en valeur. Les importations alimentaires ont dépassé les exportations jusqu’en 2019, année où le Canada est devenu exportateur net de produits alimentaires. Le Canada a renoué avec une balance commerciale alimentaire négative en 2020, mais depuis 2021, le Canada est un exportateur net de produits alimentaires. En 2023, le Canada a exporté en moyenne 4,4 milliards de dollars canadiens et importé 3,9 milliards de dollars canadiens par mois de produits alimentaires. L’excédent du commerce alimentaire s’est élevé à 6,1 milliards de dollars canadiens en 2023.

Figure 2: Commerce agroalimentaire canadien mensuel

Commerce agroalimentaire canadien mensuel

Examinons maintenant qui sont les principaux partenaires commerciaux du Canada dans le secteur agroalimentaire. J’utiliserai des graphiques de bosses (bump chart en anglais) pour montrer les dix principaux partenaires commerciaux du Canada au fils du temps. En haut des graphiques on retrouve le premier partenaire commercial du Canada et au bas le dixième partenaire commercial du Canada. Les graphiques ne montrent pas les valeurs commerciales, mais la taille des cercles montre l’importance relative des relations commerciales, un cercle plus grand indiquant une valeur plus élevée.

Les États-Unis sont de loin la principale destination des exportations canadiennes de produits agricoles. Le Japon, la Chine et le Mexique complètent le quatuor de tête. De la cinquième à la dixième position, il n’y a pas de consistance, les pays pouvant gagner ou perdre plusieurs positions d’une année à l’autre. L’Inde, le Bangladesh et l’Indonésie se classent parfois parmi les cinq premiers à cause de leurs importations de légumineuses, de céréales et de canola.

Figure 3: Classement des exportations canadiennes de produits agricoles par pays de destination entre 2010 et 2023

Classement des exportations canadiennes de produits agricoles par pays de destination entre 2010 et 2023

Le classement des importations agricoles du Canada selon l’origine change peu au fils du temps. Les États-Unis sont premiers, le Mexique est deuxième, la Chine est troisième et le Chili est quatrième. Après cela, l’ordre varie d’une année à l’autre. Notez que la Thaïlande était classée numéro cinq en 2010 et qu’elle est sortie du top dix en 2023. Le Pérou n’était pas dans le top 10 jusqu’en 2014 et il est maintenant numéro quatre. Le PTPGP a probablement contribué aux exportations du Pérou vers le Canada. Les principales importations en provenance du Chili et du Pérou sont les fruits comestibles et les noix.

Figure 4: Classement des importations canadiennes de produits agricoles par pays d'origine entre 2010 et 2023

Classement des importations canadiennes de produits agricoles par pays d'origine entre 2010 et 2023

Encore une fois, il n’est pas surprenant que les États-Unis soient la principale destination, et de loin, des exportations alimentaires du Canada. La Chine, le Japon, le Mexique et la Corée du Sud suivent dans cet ordre depuis 2016. Les Philippines, les Pays-Bas et le Royaume-Uni se sont classés sixièmes, septièmes et huitièmes au cours des trois dernières années.

Figure 5: Classement des exportations canadiennes d'aliments par pays de destination entre 2010 et 2023

Classement des exportations canadiennes d'aliments par pays de destination entre 2010 et 2023

Les États-Unis sont à nouveau le principal partenaire commercial lorsqu’il s’agit des importations de produits alimentaires. Ensuite, la liste des pays est très différente des graphiques précédents. L’Italie est numéro deux depuis 2013. Le Brésil a volé la troisième place à la France en 2023, qui a chuté à la quatrième place. Le Mexique est en cinquième position, suivi de la Chine, puis du Royaume-Uni, qui n’a pas été plus bas qu’en septième position, sauf en 2018 où il est tombé à la huitième place.

Figure 6: Classement des importations canadiennes d'aliments par pays d'origine entre 2010 et 2023

Classement des importations canadiennes d'aliments par pays d'origine entre 2010 et 2023

J’affiche également les classements du commerce agroalimentaire par produits à l’aide de graphiques de bosses. Le produit le plus échangé se trouve en haut et la taille des cercles indique la valeur relative des échanges.

Dans les figures ci-dessous, j’inclus le code HS4 dans les descriptions de produits abrégées pour éviter toute confusion. Vous pouvez vérifier la classification des produits à cette page.

Les cultures des prairies dominent le classement des exportations canadiennes de produits agricoles. Le blé arrive en tête, suivi du canola. En troisième position se trouvent les légumineuses, qui échangent souvent de position avec les crustacés. Le soja est en cinquième position depuis 2019. Les bovins sont sixièmes, mais occupaient une place plus élevée avant 2010. Les exportations de bovins vers les États-Unis ont diminué et sont demeurées plus faibles depuis que les États-Unis ont adopté l’étiquetage obligatoire du pays d’origine (m-COOL) pour la viande rouge en 2008, et ce même si le différend a été résolu en 2015.

Figure 7: Classement des exportations agricoles canadiennes par produit entre 2010 et 2023

Classement des exportations agricoles canadiennes par produit entre 2010 et 2023

Il n’est pas surprenant que les deux principales importations agricoles d’un pays nordique comme Canada soient des fruits et légumes frais. Le classement des importations agricoles du Canada a tendance à varier considérablement d’une année à l’autre en fonction des prix des produits de base. Le top dix comprend plusieurs produits qui ne sont pas cultivés, ou qui sont cultivés en petites quantités, au Canada, comme les bananes, les agrumes, le riz et les raisins. Observez la récente hausse des importations de maïs dans le classement à la suite de la sécheresse qui a frappé les prairies en 2021.

Figure 8: Classement des importations agricoles du Canada par produit entre 2010 et 2023

Classement des importations agricoles du Canada par produit entre 2010 et 2023

Les produits qui occupent les quatre premières positions pour les exportations alimentaires du Canada ont tendance à s’échanger de position : pain et pâtisseries, l’huile de canola, le bœuf et le porc. Le cas du pain et des pâtisseries en première position est un peu un mystère pour moi, car je ne connais pas l’avantage comparatif du Canada qui puisee l’expliquer (production de blé?). De plus, le Canada est aussi un grand importateur de pain et de pâtisseries quoique les exportations excèdent de beaucoup les importations. Dans le cas des produits du chocolat, qui figurent régulièrement parmi les dix principales exportations alimentaires, bien que le Canada ne produise pas de cacao, les prix du sucre sont plus bas au Canada qu’aux États-Unis rendant ainsi les entreprises canadiennes concurrentielles sur le marché américain.

La récente baisse des prix du porc a fait chuter le porc au quatrième rang. À l’inverse, avec la hausse des prix due aux sécheresses aux États-Unis et au Canada, le bœuf s’est hissé à la troisième place en 2023.

Figure 9: Classement des exportations alimentaires du Canada par produit entre 2010 et 2023

Classement des exportations alimentaires du Canada par produit entre 2010 et 2023

Les importations alimentaires comprennent plusieurs produits de spécialité comme le vin, le café et certains alcools. Le pain et les pâtisseries occupent la première place, tout comme dans le cas des exportations. Il existe également des échanges bilatéraux pour les préparations destinées à l’alimentation animale et pour le chocolat. De toute évidence, les canadiens aiment les produits alcooliques importés.

Figure 10: Classement des importations d'aliments du Canada par produit entre 2010 et 2023

Classement des importations d'aliments du Canada par produit entre 2010 et 2023

La question de savoir si nous assisterons à une augmentation du protectionnisme dépend de quelques facteurs, notamment :

  • Situation politique : nous verrons plus de protectionnisme selon qui sera élu aux États-Unis en novembre et de même lors des prochaines élections ailleurs dans le monde. Le nouveau caucus à la Chambre des représentants des États-Unis pourrait également mener à un protectionnisme accru.
  • Prix de l’agroalimentaire : Lorsque l’agriculture et la production d’aliments sont rentables, les tendances au protectionnisme sont beaucoup plus faibles. Le USDA a récemment prédit (en anglais seulement) que le revenu agricole net diminuerait de 25,5 % en 2024. Si ces prévisions se concrétisent, cela pourrait entraîner des pressions accrues en faveur du protectionnisme aux États-Unis.
  • Manifestations en Europe : Nous nous attendons à ce que des changements interviennent après les manifestations qui ont secoué plusieurs pays européens depuis janvier. Il pourrait s’agir d’un soutien accru aux agriculteurs, mais aussi de mesures protectionnistes.

Les chiffres ci-dessus montrent l’évidence que les États-Unis sont le principal partenaire commercial du Canada dans le secteur agroalimentaire. Cette dépendance au marché américain a ses risques. À quoi pourrions-nous nous attendre des États-Unis s’ils prennent des mesures pour accroître la protection de leur secteur agroalimentaire ?

  • Tarifs douaniers : L’ancien président Trump a déclaré qu’il imposerait des droits de douane sur tous les produits importés s’il était réélu. Cela n’exclurait pas, semble-t-il, le Canada et les produits agroalimentaires et signifierait essentiellement la fin du libre-échange avec les États-Unis.
  • Retour de m-COOL pour la viande rouge : Depuis que les États-Unis ont perdu à l’OMC contre le Canada et le Mexique au sujet de m-COOL pour la viande rouge, des démarches (en anglais seulement) sont occationnellement prises pour son retour. À l’heure actuelle, la rentabilité est faible dans le secteur porcin, mais elle est élevée dans le secteur bovin. Je ne serais pas surpris si nous assistions à des pressions accrues en faveur du rétablissement de m-COOL une fois que la rentabilité du secteur bovin aura diminué.
  • Mesures concernant le lait : Lors de la deuxième ronde du différend laitier entre le Canada et les États-Unis, le panel de l’ACEUM s’est rangé du côté du Canada. En réaction à cette décision, l’ambassadrice Katherine Tai a déclaré (en anglais seulement) : Nous continuerons de travailler pour régler ce problème avec le Canada, et nous n’hésiterons pas à utiliser tous les outils disponibles pour faire respecter nos accords commerciaux et veiller à ce que les travailleurs, les agriculteurs, les fabricants et les exportateurs américains bénéficient de tous les avantages de l’ACEUM. Cette citation laisse ouverte la possibilité que les États-Unis prennent des mesures contre le secteur laitier canadien, malgré la décision du panel.

Le portefeuille d’exportations agroalimentaires du Canada comprend un grand nombre de pays et de produits. Si un pays importateur de produits agroalimentaires canadiens restreint ses importations, cela pourrait avoir des répercussions économiques non négligeables pour des secteurs agroalimentaires canadiens. Il m’est difficile de prévoir comment des restrictions à l’importation par des pays autres que les États-Unis pourraient se manifester. Compte tenu de l’histoire récente, je ne peux pas exclure que la Chine impose des restrictions à l’importation, comme elle l’avait fait pour le canola et le porc il y a quelques années. Cependant, je ne peux pas prédire si, quand et comment de telles restrictions pourraient être imposées. L’Inde impose des droits de douane sur les légumineuses en fonction des prix intérieurs. En décembre, elle a temporairement éliminé (en anglais seulement) les droits de douane de 50 % sur l’importation de légumineuses. Le tarif devrait être remis en place le 31 mars, 2024.

Les partenaires commerciaux du Canada vont continuer à mettre de la pression pour obtenir accès aux marchés sous gestion de l’offre. Les récents accords commerciaux ont maintenu les systèmes de gestion de l’offre, mais les ont affaiblis en augmentant l’accès au marché intérieur canadien. Les pays membres de ces accords peuvent contester l’administration des contingents tarifaires, et ce même si des raisons économiques expliquent pourquoi ils ne sont pas remplis. Parmi les exemples récents, mentionnons les contestations des contingents tarifaires laitiers par les États-Unis dans le cadre de l’ACEUM et par la Nouvelle-Zélande dans le cadre du PTPGP. Bien que ces contestations ne sont pas des mesures de protection, elles sont tout de même une source d’inquiétude pour le Canada. Nous verrons si la porte est maintenant ouverte à d’autres contestations.


  1. J’utilise les chapitres HS 1, 3, 6, 7, 8, 10, 12 pour l’agriculture et les chapitres HS 2, 4, 9, 11, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 35 pour les aliments. Ceci devrait coïncider de près avec les chapitres utilisés par Agriculture et Agroalimentaire Canada. ↩︎